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LE RÉGIME MODERNE


et mental s’y altère, et court risque de ne pas se rétablir ; la désillusion est venue, trop brusque et trop complète ; les déceptions ont été trop grandes et les déboires trop forts ; le jeune homme a subi trop de crève-cœur. Quelquefois avec ses intimes, aigris et fourbus comme lui, il est tenté de nous dire : « Par votre éducation, vous nous avez induits à croire, ou vous nous avez laissé croire que le monde est fait d’une certaine façon ; vous nous avez trompés ; il est bien plus laid, plus plat, plus sale, plus triste et plus dur, au moins pour notre sensibilité et notre imagination ; vous les jugez surexcitées et détraquées ; mais, si elles sont telles, c’est par votre faute. C’est pourquoi nous maudissons et nous bafouons votre monde tout entier, et nous rejetons vos prétendues vérités qui, pour nous, sont des mensonges, y compris ces vérités élémentaires et primordiales que vous déclarez évidentes pour le sens commun, et sur lesquelles vous fondez vos lois, vos institutions, votre société, votre philosophie, vos sciences et vos arts[1]. » — Et voilà ce que la jeunesse contemporaine, par ses goûts, ses opinions, ses velléités dans les lettres, dans les arts et dans la vie, nous dit tout haut depuis quinze ans.

  1. À cet égard, on trouvera des indications très instructives dans l’autobiographie de Jules Vallès, en trois volumes intitulés : l’Enfant, le Bachelier, l’insurgé. Depuis 1871, en littérature, non seulement les œuvres réussies des hommes de talent, mais encore les tentatives avortées des novateurs impuissants et des demi-talents fourvoyés, sont des indices qui convergent.