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[LA BIEN ALLEE DE MICHAULT]


fol. 249r

S’ensuit en ce present cayer
La bien allee de Michault,
Laquelle a amours veult payer,
Pour ce que d’amer ne luy chault.


[premiere ballade]

Je, Michault, pour aultre party
Tenir, ay prins nouvellement
Congié d’amours, et suis party
4D’amer tellement quellement.
Mais encores semblablement,
Je veul payer ma bien allee
A amours, car presentement
8J’ay d’amours toute ma saoullee.

Je dy d’amours, quant est a my,
Qui n’aime, il ne pert pas granment.
Penelope oncques n’ot amy,
12Ne daigna amer nullement :
Ulixes sy non a tourment,
Et d’amours froide et engellee.
Et pour ces causes vraïement
16J’ay d’amer toute ma saoullee.

Phellis par amours se pendy,
Sans desserte et sans jugement,
Pour Demophon qu’elle attendy
20Oultre son gre trop longuement.
Et Demophon piteusement,
Quant il la trouva estranglee,
Ploura ; par quoy finablement
24J’ay d’amer toute ma saoullee.

Prince, qui aime il s’en repent.
Cleopatra en fut navree.
Pour ce que tel mal en deppend,
28J’ay d’amer toute ma saoullee.


fol. 249vseconde ballade

Tel se complaint du fait d’amer
Quy n’a cause de s’en dolloir,
Et doit il plaindre ung pou d’amer,
4Pour avoir dame a son voulloir ?
Nesnil ! Non ! Ne luy doit challoir
S’amours ung pou trop dure le maine,
Car par tant il puet estre l’oir
8Des biens qu’amours a en demaine.

Maint dient, sans restituer,
Mal d’amours tourne en desespoir.
Mais quoy ! Quy son chien veult tuer,
12La raige luy met sus, pour voir.
S’un amant n’a tost son voulloir,
Fault il pour ce qu’il s’en demaine
Et qu’il desdie main et soir
16Des biens qu’amours a en demaine ?

Le bien qu’on a par desirer
Et ou on met paine a l’avoir,
Vault mieulx, a tout considerer,
20Que bien sans paine recevoir.
Celuy s’en doit bien percevoir
Quy mercy a aprez sa paine,
Car c’est [le] principal avoir
24Des biens qu’amours a en demaine.

28Prince, je vous fais assavoir
Que nulz en ceste vie humaine
Ne scet la paine concevoir
Des biens qu’amours a en demaine.


fol. 250riije ballade

On scet assez, en pluiseurs lieux,
Bien d’amours comment il en va.
Virgille, qui fut moult soubtieulx,
4Le povoir d’amours esprouva ;
Mais enfin trompé s’en trouva
De Liegart, quant il l’eut amee.
Puis que son sens ne le saulva,
8D’amer n’ay plus la teste enflee.

Aristote, a sens ententieux,
De son sens aussy mal usa
Encontre amours, car il fu tieulx
12Qu’amours par amer l’abusa.
Menalope l’en chevaucha,
Comme ung coursier ou haquenee.