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avaient, pour ainsi dire, fait disparaître l’« e » muet de leurs poèmes, 1’ « e » muet qui prête à notre langue une vénusté sans seconde, enveloppe comme d’une brume transparente les contours de la phrase, pour les adoucir et les magnifier.

Vous nous reprochez, — écrivait à un étranger Voltaire, — vous nous reprochez nos « e » muets, comme un son triste et sourd qui expire dans notre bouche. Mais c’est précisément dans ces « e » muets que se trouve tout le charme de notre prose et de nos vers. « Empire », « Couronne », « Flamme », « Victoire », « Diadème », toutes ces désinences heureuses laissent dans l’oreille un son qui subsiste après le mot prononcé, comme un clavecin qui résonne quand les doigts ne frappent plus les touches.

Cette voyelle atone, dont Rivarol comparait aussi la musique « aux dernières vibrations des corps sonores », triomphe chez Verlaine, y reprend les mêmes grâces que dans Racine ou dans Chénier :


Tu gémis sur l’Ida, mourante, échevelée,
O reine! ô de Minos épouse désolée 1...