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d’Allemagne, si la guerre les mettait en présence dans un jour de malheur ? Ces ennemis coupables seulement d’être nés sur le versant d’une colline, sur la berge d’un fleuve qui séparent leurs champs du tien, ces ennemis, dont le tort le plus clair est de se nommer Frantz quand tu t’appelles François, ils ont les mêmes intérêts, les mêmes affections qui te pressent. Ils ont, là-bas, des compagnes, leur mère et des amis dont les yeux se mouillèrent au départ. Ils aiment, eux aussi, la clarté du soleil et le parfum des bois. Ils portent dans leurs veines le sang pourpré de la jeunesse. Ils s’avancent, comme toi, pleins de vie, à la conquête du bonheur. Ne tue pas ! Refuse ta main aussi bien que ta pensée à l’homicide collectif. Ne sois pas un valet du massacre. Ne tache pas de sang la fleur de ton avril. Et, quel que puisse être le résultat de ce propos, abstiens-toi, mon fils, de créer de la douleur !

Les docteurs du Nationalisme ; les vieux messieurs de la Patrie française, à défaut de Joseph de Maistre, encore dans un moins beau langage, te diront que la guerre est nécessaire, que l’échafaud est utile, que la faim, les supplices, la dévastation équivalent, pour le genre humain, à la saignée hippocratique. Garde-toi d’écouter ces énergumènes ou de croire en ces histrions. Ce qu’ils veulent, ce n’est pas reconquérir des provinces ou faire de la peine à Chamberlain, c’est gagner une bonne place, dîner chez les marquis et décrasser leur cuistrerie originelle dans les meilleures maisons du faubourg Saint-Germain.

Le grand soleil de bonté, de justice et de miséricorde, qui monte à l’horizon des temps futurs, épouvante ces nocturnes oiseaux ; ils tourbillonnent dans les lueurs paisibles du matin, sans trouver où planter leur bec retors et leurs serres impuissantes. Ils cherchent les précipices de ténèbres, et les cavernes, et les ruines, qui les défendent contre la beauté du jour. Qu’ils y rentrent, avec leurs haines caduques, leurs mensonges et leurs crimes ! Toi, camarade, poursuis vers l’aurore ; méprise derrière toi ces fantômes de la nuit.

Conquiers — il est temps — pour tes frères et pour toi un renom de mansuétude. Que le préjugé militaire n’entame point cette armure de douceur qui te préservera de la tache ineffaçable, de la juste répro-