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part de la classe fait baver d’aise les catins et les bistros. Nul ne s’indigne ! Nul ne se révolte. L’offrance à Moloch du printemps sacré, de vos vingt ans, ô jeune homme ! laisse indifférentes et soumises, crédules, peut-être, à la hideuse fiction du patriotisme, celles même dont les entrailles vous ont portés.

À Montmartre, cependant, au mois de février 1897, les familles intelligentes arborèrent des emblèmes de deuil, le matin du tirage au sort. Les pères de famille n’acquiesçaient point à l’appel de la classe, à l’enrôlement de leurs fils dans le bagne des esclaves et des tueurs.

Ce deuil ressenti par les êtres qui pensent, mais que, dociles aux préjugés, la plupart des hommes se gardent bien d’exprimer ; ce deuil, nous entendons, ce soir, le proclamer devant vous, conscrits qui partirez demain, en vous disant — à cette heure des adieux, — telles paroles de réconfort et de sauvegarde que vous emporterez comme un testament de vos aînés dans les ténèbres de l’exil.



Vous avez passé naguère sous la toise. Vous avez, au conseil de révision, fait voir à des médecins militaires dont un banquier juif ne voudrait pas pour soigner ses chevaux, les secrets intimes et les imperfections de votre corps. Nus comme pour un marché d’ouailles, bousculés, maniés, retournés, mensurés, grelottant sous l’œil du gendarme, vous fûtes les animaux que la patrie achète sans payer.

Déclarés propres au service, bons pour la corvée et les instructions du talapoin, la vidange des latrines et les insultes de vos chefs, la tête rasée à la manière des bandits, écœurés par la nuit fétide, la première nuit de la chambrée, il vous faudra bientôt commencer l’instruction militaire, apprendre les recettes nouvelles pour expédier la mort à distance, pour faire des