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forme de bravoure qui jette aveuglément la brute sur son ennemi et que l’homme partage avec les plus immondes carnassiers ; quand la guerre n’était pas une destruction méthodique ordonnée par des ingénieurs et des chimistes, un fléau d’ordre expérimental que déchaînent les laboratoires ; quand, pour donner la mort, il fallait s’offrir aux coups de l’adversaire et le combattre face à face, la soldatesque n’était pas ce que plus tard elle devint : une source de ruines, un chancre dévorateur, un ulcère qui détruit les forces économiques des pays civilisés.

Car la civilisation — ou, du moins, ce qu’appellent d’un tel nom les privilégiés heureux d’un état de choses qui leur permet de croître dans la fainéantise, l’ignorance et la vanité — car la civilisation européenne se manifeste d’abord par le zèle qui anime chaque puissance, république ou monarchie, à mettre sur pied un nombre de soldats toujours plus formidable et, dans l’attente d’un péril imaginaire, d’un conflit dont nul ne veut, — à se ruiner chaque jour, à perdre ses enfants et ses trésors, ses plus beaux mâles et ses plus beaux deniers, son sang et sa fortune dans le cloaque militaire, dans le goût de l’obéissance passive, dans le gouffre sans fond des armements.

La dépense monstrueuse occasionnée par l’achat et l’entretien des outils de guerre, dépouille tous les ans ceux qui labourent et produisent. Les canons et les fusils, les torpilleurs et les cuirassés, la poudre et la dynamite, la fumée et le massacre emportent des milliards, des sommes plus que suffisantes à nourrir tout ce que l’Europe compte de faméliques et de va-nu-pieds. Les aciers les plus purs, les chefs-d’œuvre de la métallurgie et de la balistique sont dévolus aux engins de destruction. Le meurtre coûte cher. Les budgets de la marine et de la guerre vident impitoyablement l’escarcelle du pauvre afin que des amiraux, des maréchaux, des colonels, des ministres, empanachés et ridicules, fassent tonner les salves et, sous les drapeaux ondoyants, promènent leurs costumes de foire, leurs uniformes de bureaucrates homicides, leur chienlit de croquemitaines édentés.

Mais le luxe des arsenaux, le prix des armes à longue portée, les accessoires de l’égorgement patriotique, de la férocité administrative et paperassière ne