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même vœu le temps béni de la réconciliation et de la paix. Les orateurs qui m’ont précédé, hommes d’État, penseurs et philosophes, vous ont déduit les raisons qu’a le monde occidental de mettre bas les armes, les moyens, politiques et sociaux, qu’il convient d’employer pour atteindre ce but. L’appétit du bonheur, la soif de la justice ont envahi l’âme humaine, malgré les sophistes, malgré les théoriciens de la destruction et ce paradoxe abominable qui prétend que la guerre est une école d’énergie ou de moralité. En dépit de ces doctrinaires qui, suivant la trace de Joseph de Maistre, exaltent les égorgeurs et font des grâces au bourreau, le sentiment du droit, la divine pitié sont entrés dans nos âmes et nul, désormais, ne les en bannira.

En 1848, les poètes ont formulé ce noble désir de réconciliation, promulgué ce jour « des grands destins » où « le glaive brisera le glaive », où du « combat naîtra l’amour ».

Lamartine chante l’Églogue à Pollion du xive siècle dans la Marseillaise de la Paix :

Ce ne sont pas des mers, des cités, des frontières

Qui bornent l’héritage entre l’humanité.
Les bornes des esprits sont les seules barrières.
Le monde, en s’éclairant, s’élève à l’unité.
Ma patrie est partout où rayonne la France,
Où son génie éclate aux regards éblouis.
Chacun est du climat de son intelligence,
Je suis concitoyen de toute âme qui pense :

         La Vérité, c’est mon pays.

Tolstoï, chrétien comme Swift, mais d’un christianisme plus charitable, demande à la superstition ancestrale de corroborer l’esprit nouveau : il fonde sur le retour de l’Homme aux croyances évangéliques une société digne de son grand cœur. Comme Swift, Léon Tolstoï se flatte de racheter l’Humanité par la défaite de l’amour qu’il bannit de sa république, sans même le couronner de fleurs. Gardons-nous d’un sourire trop facile. Mais, relisant le pamphlet de Swift, rappelons-nous ce passage où, donnant pour modèle aux sujets de la reine Anne une fabuleuse espèce de chevaux, il atteste que :

L’amour, la galanterie n’ont aucune place dans leur pensée et que les jeunes couples sont unis simplement parce que leurs parents et leurs amis ont décidé qu’il en serait ainsi et que la matrone Houyhnhm, quand elle a produit un petit de chaque sexe, cesse de vivre conjugalement avec son mari.