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les hommes d’armes, les peuples et les rois se déchirent comme des lions, disputent à coups d’épée, à grand renfort d’arquebusades, le royaume de Dieu, le domaine pacifique de l’Esprit. Pour la tente du soldat, la controverse a déserté la chaire des docteurs : elle s’est faite meurtrière ; elle ne connaît pas d’argument plus fort que la haquebute ou le poignard. La guerre civile hurle et frappe, elle se complique de parricide, elle renchérit sur l’horreur. Elle désunit les citoyens. Elle allume le bûcher d’Anne Dubourg, prépare les torches de la Saint-Barthélemy. Et L’Hôpital, balancé entre la reine-mère et les furieux qui le gardent, évoque dans sa mémoire d’humaniste, les horreurs du fraticide antique :

Excidat illa dies aevo, nec postera credant
Sæcula…

C’est alors que, riant de ce rire qui est le charme de la force et l’ornement de la raison, le plus sage des hommes et le meilleur des pédagogues, invita les furieux à résipiscence et, montrant le visage de la Guerre dans une caricature immortelle, en stigmatisa pour jamais la folie et la hideur, c’est le chant de l’alouette gauloise sur le charnier des vautours, souffletant de joie et de lumière les pesants, les immondes carnassiers.

Les bergers de Grandgosier ont dérobé leur fournée aux boulangers de Pichrochole « frappant sur ces fouaciers comme sur seigles vers, puis faisant chère lye avec ces fouaces et beaux raisins ». Or, voici que, flamberge aux vents, musique en tête, bannière déployée et luisant au soleil, l’ost du prince à la bile grièche se rue incontinent sur les terres de l’ennemi, tuant, massacrant, dévastant, prodiguant le deuil et les désastres sans assouvir « la colère pungitive » du guerrier. Le bon Grandgosier fait rendre à l’ennemi les fouaces litigieuses, et le combat finit par l’intervention de frère Jean, de Gargantua, cependant que Pichrochole va porter en Mésopotamie son humeur belliqueuse. L’on sent que Rabelais ne juge pas cette guerre plus absurde ni plus malfaisante que les prises d’armes de son temps. Il a vu les campagnes mémorables ; il n’a oublié ni les triomphes ni les défaites ; il se rappelle Marignan et Pavie ; il connaît la légende