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vie de cn. julius agricola.

isthme étroit, où l’on établit des postes fortifiés. Tout le pays en deçà était occupé, et l’ennemi rejeté au delà comme dans une autre île.

XXIV. La cinquième année, il franchit l’un des golfes sur le premier vaisseau qui eût pénétré dans ces mers, dompta, par des combats heureux et multipliés, des nations jusqu’alors inconnues, et garnit de troupes la partie de la Bretagne qui fait face à l’Hibernie ; ceci dans des vues de conquête plutôt que de précaution : car l’Hibernie, située entre la Bretagne et l’Espagne, et portée de la mer des Gaules, pouvait être, pour cette partie si puissante de l’empire, le lien des plus importantes et des plus utiles communications. Cette île, plus petite que la Bretagne, surpasse en grandeur celles de notre mer. Le sol, le climat, le caractère et les usages des habitants, sont à peu près les mêmes qu’en Bretagne. Ce que l’on connaît le mieux, ce sont les côtes et les ports, grâce aux marchands qui les fréquentent ou y sont établis. Agricola avait accueilli un des petits rois de ce pays, chassé par une sédition domestique, et, sous le titre d’ami, il le gardait pour l’occasion. Souvent je lui ai entendu dire qu’avec une seule légion et quelques auxiliaires on pourrait dompter et conserver l’Hibernie, et que la Bretagne même en serait plus soumise, alors qu’elle apercevrait partout les armes romaines, et que la liberté serait comme soustraite à sa vue.

XXV. L’été suivant, qui commençait la sixième année de son gouvernement, il s’avança dans les vastes contrées qui s’étendent de l’autre côté de la Bodotria ; et, comme le mouvement général de toutes les peuplades et les routes couvertes d’ennemis lui inspiraient des craintes, il fit reconnaître les ports par sa flotte. C’était la première fois qu’il l’employât comme partie de ses forces, et ce fut un beau spectacle de voir ces vaisseaux qui accompagnaient la marche de l’armée, cette guerre qui se poussait en même temps sur terre et sur mer ; ces camps où, souvent confondus ensemble et confondant leur joie, fantassins, cavaliers, soldats de marine, exaltaient leurs travaux et leurs aventures ; ces vifs entretiens où tantôt les abîmes des forêts et des montagnes, tantôt la fureur des flots et des tempêtes, ici la terre et l’ennemi vaincus, là l’Océan agrandi, fournissaient à la jactance militaire de brillants parallèles. Les Bretons, de leur côté, au rapport des prisonniers, étaient consternés à vue d’une flotte qui, en pénétrant dans cette mer, avait découvert le secret de leur asile et