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vie de cn. julius agricola.

ral, s’entretiennent des maux de la servitude, se communiquent leurs ressentiments, les enveniment par d’amères réflexions. Ils se demandent « à quoi sert la patience, sinon à faire aggraver leurs charges, en laissant croire qu’ils les trouvent légères. Jadis ils n’avaient qu’un roi ; maintenant on leur en impose deux, le général, altéré de leur sang, le procurateur, avide leurs biens ; tyrans dont la discorde n’est pas moins funeste aux opprimés que leur union. Les satellites de l’un et les centurions de l’autre mêlent ensemble outrages et violence ; rien n’échappe à leur avarice, rien à leur brutalité. Sur le champ de bataille, c’est le plus brave qui dépouille ; mais ceux qui les chassent de leurs maisons, leur enlèvent leurs enfants, les soumettent aux enrôlements, comme si c’était pour la patrie seulement qu’un Breton ne sût pas mourir, ce sont le plus souvent des gens lâches et timides ; car combien peu de soldats ont passe la mer, si les Bretons veulent se compter eux-mêmes ? La Germanie a bien secoue le joug, et c’est un fleuve, et non l’Océan, qui la protège ! Patrie, femmes, parents, voilà leurs motifs de guerre : l’ennemi n’en a d’autres que la débauche et la cupidité. Il fuira, comme a fui jadis ce fameux Jules, pourvu qu’ils imitent les vertus de leurs ancêtres. Et qu’on ne s’effraye point de l’issue d’un ou de deux combats : chez les malheureux l’attaque est plus vive, la constance plus ferme. Déjà les dieux mêmes ont pris pitié des Bretons, en éloignant le général romain, en tenant ses troupes reléguées dans une autre île. Le plus difficile était de delibérer, et ils délibérèrent ; or, en de semblables projets, il est moins dangereux d’oser que d’être surpris. »

XVI. C’est ainsi qu’animés l’un par l’autre, et sous la conduite de Boadicée, femme du sang royal (car, dans les commandements, ils ne font point acception du sexe), ils se lèvent en masse, attaquent les postes disséminés dans le pays, emportent les forts, et s’emparent de la colonie elle-même, comme du siége de la tyrannie. De toutes les cruautés que peuvent imaginer des barbares, la colère et la victoire n’en omirent aucune. Si Suétonius, averti de ce mouvement de la province, ne se fût hâté d’accourir, la Bretagne nous échappait : une bataille gagnée la rendit à son ancienne soumission, bien qu’il restât en armes an bon nombre d’habitants qu’agitait la conscience de leur révolte, et qui se croyaient plus menaces par le général. Suétonius, doué d’ailleurs de grandes qualités, traitant ceux qui s’étaient rendus avec la hauteur et la dureté