Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/649

Cette page n’a pas encore été corrigée

sements, à ce qu’on dit alors, d’une femme ubienne, Claudia Sacrata. Les sentinelles cherchèrent dans la honte du général une excuse à leur faute : « Il leur avait, disaient-ils, commandé le silence, pour que rien ne troublât son repos. Ainsi les signaux et les appels étant suspendus[1], eux aussi étaient tombés dans le sommeil. » Il était grand jour quand les ennemis remontèrent le Rhin sur les vaisseaux qu’ils avaient pris. Ils tirèrent dans la Lippe la galère prétorienne, et l’offrirent à Véléda.

XXIII. Civilis eut l’ambition de montrer une flotte en bataille. Il arma ce qu’il avait de navires à un et à deux rangs de rames ; il y joignit une grande quantité de barques, équipées en liburniques et montées de trente à quarante hommes. Des sayons de couleurs variées tenaient lieu de voiles et présentaient, tout en aidant la marche, un coup d’œil assez beau. Il choisit le lieu où, spacieuse comme une mer, la Meuse reçoit les eaux du Rhin et les verse dans l’Océan[2]. Le but de cet armement, outre la vanité naturelle à ces barbares, était de fermer passage aux convois qui nous viendraient de la Gaule. Cérialis, plus surpris qu’effrayé, s’apprête au combat. Sa flotte était moins nombreuse, mais supérieure par l’expérience des chiourmes, l’art des pilotes et la grandeur des vaisseaux. Le courant était pour elle ; l’ennemi avait le vent en poupe. Bientôt les deux flottes, essayant l’une sur l’autre une décharge de traits, se croisent et se séparent. Civilis, sans rien oser désormais, se retira de l’autre côté du Rhin. Cérialis porta le ravage dans l’île des Bataves, épargnant, par une politique connue à la guerre, les terres et les maisons de ce chef. Sur ces entrefaites arriva le déclin de l’automne ; et le fleuve, gonflé par des pluies abondantes, se répandit sur la surface basse et marécageuse de l’île, qui bientôt ne fut plus qu’un lac. La flotte était loin et les provisions manquaient. Les camps, situés sur un terrain plat, étaient bouleversés par la violence des eaux.

XXIV. On eût pu alors, à en croire Civilis, écraser nos légions ; et les Germains le voulaient, s’il ne les en eût détour-

  1. Les sentinelles se demandaient de temps en temps le mot d’ordre, et s’appelaient pour prévenir la surprise et le sommeil.
  2. Tacite prend le tout pour la partie, le Rhin pour le Vahal, qui en est un bras et qui se jette dans la Meuse, dont l’embouchure immense forme une espèce de mer.