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s’offraient d’abord, et avec elles les nombreuses milices de Judée et de Syrie ; immédiatement après venait l’Égypte avec deux légions ; d’un autre côté la Cappadoce, le Pont et tous les camps dont l’Arménie est bordée ; ensuite l’Asie et les provinces voisines, où les hommes ne manquaient pas et l’argent abondait : puis tout ce que la mer enferme d’îles ; enfin la mer elle-même, qui éloignait la guerre et en secondait les préparatifs.

Cette disposition des soldats n’était pas ignorée des chefs ; mais on trouva bon d’attendre l’issue de la guerre que d’autres se faisaient. "Jamais entre vainqueurs ou vaincus l’union ne pouvait être solide, et peu importait qui de Vitellius ou d’Othon la fortune ferait survivre ; la prospérité enivrait les plus grands capitaines ; et ceux-ci n’avaient pour qualités qu’esprit de discorde, lâcheté, débauche ; grâce à leurs vices, ils périraient l’un par la guerre, l’autre par la victoire." Vespasien et Mucien remirent donc à une occasion favorable la prise d’armes qu’ils résolurent alors et que depuis longtemps leurs amis concertaient, les plus gens de bien par amour de la république, beaucoup par l’attrait du butin, d’autres à cause du dérangement de leurs affaires ; car, bons et méchants, pour des motifs différents mais d’une ardeur égale, désiraient tous la guerre.

Un faux Néron

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Vers la même époque, la Grèce et l’Asie furent épouvantées de la fausse nouvelle que Néron allait arriver2. Les récits contradictoires qu’on faisait de sa mort avaient donné lieu au mensonge et à la crédulité de le supposer vivant. Il s’éleva plusieurs imposteurs dont je raconterai dans le cours de cet ouvrage les tentatives et la catastrophes. Celui-ci était un esclave du Pont, ou selon d’autres un affranchi d’Italie, habile à chanter et à jouer de la lyre, talent qui, joint à la ressemblance des traits, favorisait le succès de sa fraude. Il prend avec lui des déserteurs errants et sans ressource, qu’il avait séduits par de magnifiques promesses, et se met en mer. Poussé par la tempête dans l’île de Cythnos3, il y trouva quelques soldats d’Orient qui venaient en congé ; il les enrôle, ou, à leur refus, les fait tuer. Il dépouille même les négociants et arme leurs esclaves les plus robustes. Le centurion Sisenna, au nom de l’armée de Syrie, portait aux prétoriens les mains jointes, symbole de concorde : le fourbe essaya sur lui toutes les séductions, jusqu’à ce que Sisenna, quittant secrètement l’île, se fût hâté de fuir dans la crainte qu’on n’en vint à la force. De là une vaste terreur, accrue par le grand nombre d’esprits mécontents et avides de nouveauté qui se réveillèrent au bruit d’un nom si fameux.

2. L’histoire parle de trois faux Nérons. Celui-ci est le premier. Le second, suivant Zonaras, parut sous Titus, vers l’an 80 de J. C., et fut appuyé quelque temps par un Artaban, roi des Parthes. Cet homme était né en Asie et se nommait Térentius Maximus. Enfin le troisième, selon Suétone (Néron, chap. LVII), trouva aussi de l’appui chez les Parthes, vingt ans après la mort de Néron, c’est-à-dire- l’an 88 de J. C.
3. Cythnos, une des Cyclades, entre Sériphe et Céos, non loin du cap Sunium. On l’appelle aujourd’hui Thermia.

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