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Pison le précéderait dans le camp : on comptait sur le grand nom de ce jeune homme et sur sa popularité toute nouvelle encore ; on le choisissait aussi comme ennemi de Vinius, soit qu’il le fût en effet, ou que ceux qui l’étaient eux-mêmes le désirassent ainsi ; or dans le doute, c’est la haine qui se présume. A peine était-il sorti qu’on annonce qu’Othon vient d’être tué dans le camp. Ce n’était d’abord qu’un bruit vague et incertain ; bientôt, comme il arrive dans les grandes impostures, des hommes affirment qu’ils étaient présents, qu’ils ont vu ; et la nouvelle est accueillie avec toute la crédulité de la joie ou de l’indifférence. Plusieurs ont pensé que cette fable avait été inventée et répandue par des amis d’Othon, mêlés d’avance à la foule, et qui, pour attirer Galba hors du palais, l’avaient flatté d’une agréable erreur.

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Au reste, ce ne furent pas seulement les applaudissements du peuple et les transports immodérés d’une aveugle multitude qui éclatèrent alors. La plupart des chevaliers et des sénateurs, passant de la crainte à l’imprudence, brisent les portes du palais, se précipitent au dedans, et courent se faire voir de Galba, en se plaignant qu’on leur ait dérobé l’honneur de le venger. Les plus lâches, les moins capables, comme l’effet le prouva, de rien oser en face du péril, étaient pleins de jactance, intrépides en paroles. Personne ne savait rien ; tout le monde affirmait. Enfin, dans l’impuissance de connaître la vérité, vaincu par cette unanimité d’erreur, Galba prend sa cuirasse ; et, comme il n’était ni d’âge ni de forces soutenir les flots impétueux de la multitude, il se fait porter en litière. Il était encore dans le palais, quand un soldat de la garde, Julius Atticus, vint à sa rencontre, et, lui montrant son épée toute sanglante, s’écria qu’il venait de tuer Othon : "Camarade, dit Galba, qui te l’a commandé ? " vigueur singulière d’un chef attentif à réprimer la licence militaire, et qui ne se laissait pas plus corrompre à la flatterie qu’effrayer par les menaces.

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Dans le camp, les sentiments n’étaient plus douteux ni partagés. L’ardeur était si grande pour Othon que les soldats, non contents de se presser autour de lui et de l’entourer de leurs corps, l’élevèrent sur le tribunal où peu auparavant était la statue d’or de Galba, l’y placèrent à côté des aigles, et l’environnèrent de leurs drapeaux. Ni tribuns ni centurions ne pouvaient approcher de ce lieu. Les simples soldats s’avertissaient même l’un l’autre de se défier des chefs.