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fécondité nouvelle, et les biens s’offraient d’eux-mêmes, apportés par la main des dieux ; » serviles inventions, qu’avec beaucoup d’éloquence et non moins de bassesse ils variaient à l’infini, sûrs de trouver auprès de Néron une croyance facile.

III. Cependant, sur ce frivole espoir, le luxe allait croissant, et l’on épuisait les anciens trésors, dans l’idée qu’il s’en offrait un nouveau qui suffirait aux profusions d’un grand nombre d’années. Néron donnait même déjà sur ce fonds, et l’attente des richesses fut une des causes de la pauvreté publique. Bassus fouilla son champ et tous ceux d’alentour, assurant qu’à telle place, puis à telle autre, était la caverne promise, et suivi non-seulement d’une troupe de soldats, mais de tout le peuple des campagnes, appelé à ce travail. Enfin, revenu de son délire, et ne pouvant concevoir que ses rêves, jusqu’alors infaillibles, l’eussent une fois trompé, il se déroba par une mort volontaire à la honte et à la crainte. Quelques-uns rapportent qu’il fut mis en prison, puis relâché, et qu’on lui prit ses biens pour tenir lieu des trésors de Didon.

IV. A l’approche des jeux quinquennaux, le sénat, pour sauver l’honneur, offrit au prince la victoire du chant ; il y joignait la couronne de l’éloquence, qui devait couvrir là honte d’une palme théâtrale ; mais Néron déclara « que ni la brigue ni l’autorité du sénat ne lui étaient nécessaires ; que tout serait égal entre lui et ses rivaux, et qu’il devrait à la religion des juges le triomphe qu’il aurait mérité. » Il commence par réciter des vers sur la scène. Bientôt, pressé par la multitude « de faire jouir le public de tous ses talents » (ce furent leurs expressions), il s’avance sur le théâtre, en obéissant à toutes les lois prescrites pour les combats de la lyre, comme de ne pas s’asseoir, quelque fatigué qu’il pût être, de n’essuyer la sueur de son front qu’avec la robe qu’il portait, de ne point cracher ni se moucher à la vue des spectateurs. Enfin il fléchit le genou, et, saluant respectueusement de la main une telle assemblée, il attendait avec une feinte anxiété la décision des juges. La populace de Rome, prodigue d’encouragements même pour des histrions, faisait entendre des acclamations notées et applaudissait en mesure. On eût dit qu’elle était joyeuse, et peut-être se réjouissait-elle en effet, dans sa profonde insouciance du déshonneur public.

V. Mais ceux qui étaient venus des villes éloignées, où l’on