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INTRODUCTION.

pas équivoque, il ne dissimule pas que le temps amène nécessairement en éloquence des formes nouvelles et des genres différents. L’idée seule de cette discussion prouve d’ailleurs combien sont indépendantes les doctrines littéraires de l’écrivain ; et, si cet écrivain est Tacite, ses ouvrages historiques en sont une preuve non moins éclatante.

Nous avons passé en revue tout ce qui compose la collection des œuvres de Tacite. Il est très-vraisemblable qu’une lettre insérée parmi celles de Pline le Jeune[1], et à laquelle nous avons déjà fait allusion, doit encore lui être attribuée. Nous avons parlé de l’amitié qui l’unissait à Pline. Elle était si connue, qu’on ne pouvait nommer l’un des deux sans que le nom de l’autre se présentât aussitôt. On ne pouvait même parler des belles-lettres sans penser aux deux illustres amis qui s’en partageaient l’empire. Un jour Tacite, assistant aux jeux du cirque, lia conversation avec un chevalier romain assis près de lui. Après quelques moments d’un entretien savant et varié, celui-ci lui demanda s’il était d’Italie ou de province. « Je ne vous suis pas tout à fait inconnu, répondit Tacite, et c’est aux lettres que je dois cet avantage. — Vous êtes donc Tacite ou Pline, » reprit vivement le chevalier, qui donnait ainsi à l’un et à l’autre un éloge d’autant plus flatteur qu’il était fortuit et désintéressé[2].

Nous ne connaissons aucun autre détail sur la personne et la vie de Tacite ; l’époque de sa mort est également ignorée, et c’est une assertion purement gratuite de dire qu’il vécut quatre-vingts ans. IL est néanmoins fort probable qu’il vit l’empire d’Adrien, puisque c’est vers la fin de Trajan qu’il écrivait ses Annales.

Du reste sa vie, quelle qu’en ait été la durée, fut remplie par de nobles travaux, et nous venons de voir qu’il eut le bonheur assez rare d’être apprécié de ses contemporains et de jouir de sa gloire. La postérité lui a rendu la même justice que son siècle : et, quoique mutilés, ses écrits sont encore une des plus belles parties de l’héritage que l’antiquité savante a légué aux âges modernes.

Ce n’est pas que, depuis la renaissance des lettres, son mérite n’ait été le sujet de vives controverses. Des puristes de latinité critiquent sa diction, et relèguent parmi les auteurs du second ordre celui que Bossuet appelle le plus grave des historiens et Racine le plus grand peintre de l’antiquité. Sa latinité sans doute n’est pas celle de Cicéron : en un siècle et demi la langue avait subi des changements ; de nouvelles expressions avaient été introduites, d’anciennes renouvelées : des hellénismes qui, au temps d’Horace et de Virgile, n’étaient admis que dans les vers, s’étaient peu à peu naturalisés et avaient cours même dans la prose. Ces détails, en quelque sorte matériels, peuvent être un objet d’étude pour le philologue qui s’occupe de l’histoire du langage. Mais ce que tout lecteur doit admirer dans Tacite, c’est ce style tantôt vif et rapide, tantôt calme et majestueux,

  1. Pline, Ép, IX, x.
  2. Ibid. xxiii.