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moyen de faire entendre ses discours par plus d’un témoin. Il fallait que le lieu du rendez-vous parût solitaire. S’ils se tenaient derrière la porte, ils avaient à craindre quelque regard, le bruit, un soupçon que le hasard ferait naître. L’espace qui, sépare le toit du plafond fut l’ignoble théâtre d’une ruse détestable. C’est là que se cachèrent trois sénateurs, l’oreille attachée aux trous et aux fentes. Cependant Latiaris, ayant trouvé Sabinus dans la rue, feint d’avoir des secrets tout nouveaux à lui apprendre, l’entraîne chez lui, le conduit dans sa chambre. Là, le passé et le présent lui fournissent une abondante matière, qu’il grossit des terreurs de l’avenir. Sabinus s’abandonne aux mêmes plaintes, et plus longtemps encore ; car la douleur, une fois qu’elle s’exhale, ne sait plus s’arrêter. L’accusation est dressée à l’instant. Les traîtres écrivent à César, et, avec le détail de l’intrigue, ils lui racontent leur propre déshonneur. Jamais plus de consternation et d’alarmes ne régnèrent dans Rome. On tremble devant ses plus proches parents ; on n’ose ni s’aborder ni se parler ; connue, inconnue, toute oreille est suspecte. Même les choses muettes et inanimées inspirent de la défiance : on promène sur les murs et les lambris des regards inquiets.

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Le jour des calendes de janvier, Tibère adressa un message au sénat pour le renouvellement de l’année. Après les vœux ordinaires, il en vint à Sabinus, qu’il accusait d’avoir corrompu quelques-uns de ses affranchis pour attenter à ses jours. Il demandait vengeance en termes non équivoques, et cette vengeance fut prononcée à l’instant. Sabinus condamné, on le traînait à la mort, la gorge serrée, la voix étouffée avec ses vêtements ; et, en cet état, ramassant toutes ses forces : "C’était donc ainsi, s’écriait-il, que l’on commençait l’année ! Voilà quelles victimes tombaient en l’honneur de Séjan ! " Partout où il portait ses regards, où arrivaient ses paroles, ce n’était plus que fuite et solitude ; les rues, les places étaient abandonnées. Quelques-uns pourtant revenaient sur leurs pas et se montraient de nouveau, épouvantés de leur propre frayeur. On se demandait "quel jour vaqueraient les supplices, si, parmi les sacrifices et les vœux, quand l’usage défendait jusqu’aux paroles profanes, on voyait mettre les chaînes, serrer le cordon fatal ? Non, ce n’était pas sans dessein que Tibère avait affronté l’odieux d’un tel exemple. Sa cruauté réfléchie avait voulu que les Romains s’attendissent à voir désormais les nouveaux magistrats ouvrur le cachot aussi