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joignait tous les emportements de la jalousie, à cause des préférences de leur mère Agrippine pour Néron. Au reste, Séjan, tout en caressant Drusus, ne laissait pas de préparer de loin les coups qui devaient le frapper aussi ; trop sûr que son caractère fougueux le livrerait sans défense aux embûches de la trahison.

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À la fin de l’année moururent deux hommes distingués Asinius Agrippa, d’une famille moins ancienne qu’illustre, dont sa vie ne ternit pas la noblesse ; et Q. Hatérius, d’une maison sénatoriale, et, tant qu’il vécut, orateur célèbre. Les monuments qui nous restent de son talent ne répondent pas à sa renommée. C’est qu’il avait plus de chaleur que d’art. Aussi, tandis que la gloire des ouvrages que vivifient le travail et la méditation s’accroît d’âge en âge, l’éloquence harmonieuse et rapide de Q. Hatérius s’est éteinte avec lui.

Désastres

Ecroulement de l’amphithéâtre de Fidène

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Sous le consulat de M. Licinius et de L. Calpurnius, un malheur imprévu égala seul les calamités des plus grandes guerres. Le même instant vit commencer et consommer le désastre. Un certain Atilius, affranchi d’origine, voulant donner à Fidène un spectacle de gladiateurs, avait construit son amphithéâtre sans en assurer les fondements, ni en consolider par des liens assez forts la vaste charpente ; aussi n’était-ce pas la surabondance des richesses ni l’ambition de se populariser dans sa ville, mais un sordide intérêt, qui lui avait suggéré cette entreprise. Là courut, avide de spectacles et sevrée de plaisirs sous un prince comme Tibère, une multitude de tout sexe, de tout âge, dont la proximité où Fidène est de Rome augmentait l’affluence. La catastrophe en fut plus terrible. L’édifice entièrement rempli, ses flancs se déchirent ; il s’écroule en dedans, se renverse en dehors, entraînant dans sa chute ou couvrant de ses ruines la foule innombrable qui regardait les jeux ou se pressait à l’entour. Heureux, dans un tel malheur, ceux qui dès le premier instant moururent écrasés, ceux-là du moins échappèrent aux souffrances. Les plus à plaindre furent ceux qui, tout mutilés, conservaient un reste de vie, et qui, le jour, avaient sous les yeux, la nuit, reconnaissaient à leurs cris lamentables leurs femmes et leurs enfants. Au premier bruit de l’événement, on accourt de toutes parts : l’un redemande en pleurant un frère ou un parent, l’autre son père ou sa mère. Ceux même dont les amis et les proches étaient absents pour d’autres causes ne sont pas sans alarmes. Tant qu’on ignora, quelles victimes le sort