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donnait à une armée romaine l’apparence d’une marche de barbares. Leur sexe n’était pas seulement faible et incapable de soutenir la fatigue : il devenait, quand on le laissait faire, cruel, ambitieux, dominateur. Elles se promenaient parmi les soldats ; les centurions étaient à leurs ordres. Une femme20 avait présidé naguère aux exercices des cohortes, à la revue des légions. Le sénat savait que, dans tous les procès de concussion, la femme était la plus accusée. C’était à l’épouse du gouverneur que s’attachaient d’abord les intrigants d’une province ; elle s’entremettait des affaires, elle les décidait. À elle aussi on faisait cortège en public ; elle avait son prétoire, et ses ordres étaient les plus absolus, les plus violents. Enchaînées jadis par la loi Oppia21 et par d’autres non moins sages, les femmes, depuis que ces liens étaient rompus, régnaient dans les familles, dans les tribunaux et jusque dans les armées."

20. Plancine, femme de Pison.
21. La loi Oppia fut portée en 541, au plus fort de la seconde guerre punique, par le tribun C. Oppius. Elle défendait aux femmes d’avoir à leur usage plus d’une demi-once d’or, de porter des habits de diverses couleurs, de se faire voiturer à Rome ou à mille pas à la ronde, dans un char attelé de chevaux, si ce n’était pour se rendre aux sacrifices publics. Cette loi fut révoquée en 559, malgré l’opposition énergique du vieux Caton, alors consul.

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Ce discours eut peu d’approbateurs : on criait de toutes parts que ce n’était pas là le sujet de la délibération, qu’il fallait une autorité plus imposante que celle de Cécina pour une si grande réforme. Bientôt Valérius Messalinus, en qui l’on retrouvait une image de l’éloquence de son père Messala, répondit "que d’heureuses innovations avaient adouci en beaucoup de points la dureté des anciennes mœurs ; qu’en effet Rome n’avait plus, comme autrefois, la guerre à ses portes ou ses provinces pour ennemies ; qu’on faisait aux besoins des femmes certaines concessions, qui, loin d’être à charge aux alliés, ne l’étaient pas même à leurs époux ; qu’en tout le reste la communauté était entière, et que leur présence n’avait rien de gênant dans la paix. À la guerre sans doute il fallait être libre de tout embarras ; mais, au retour des travaux, quel délassement plus honnête que la société d’une épouse ? Quelques femmes peut-être avaient cédé à l’avarice ou à l’ambition, mais les magistrats eux-mêmes n’étaient-ils pas sujets à mille passions diverses ? Cependant on ne laissait pas pour cela les provinces