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Ce renfort lui donnait l’avantage, si Inguiomère, suivi de ses clients, n’eût passé à l’ennemi, défection causée par la seule honte d’obéir à son neveu, et de soumettre sa vieillesse aux ordres d’un jeune homme. Les deux armées se rangèrent en bataille avec une égale espérance. Et ce n’étaient plus ces Germains accoutumés à charger au hasard et par bandes éparses : de longues guerres contre nous leur avaient appris à suivre les enseignes, à se ménager des réserves, à écouter la voix des chefs. Arminius, à cheval, courait de rang en rang, montrant à ses guerriers « la liberté reconquise, les légions massacrées, et ces dépouilles, et ces armes romaines, que beaucoup d’entre eux avaient encore dans leurs mains. Qu’était-ce, au contraire, que Maroboduus ? un fuyard, qui s’était sauvé sans combat dans la forêt Hercynienne, et, du fond de cet asile, avait mendié la paix par des présents et des ambassades ; un traître à la patrie, un satellite de César[1], qu’il fallait poursuivre avec cette même furie qui les animait quand ils tuèrent Varus. Qu’ils se souvinssent seulement de toutes ces batailles dont le succès, couronné enfin par l’expulsion des Romains montrait assez à qui était resté l’honneur de la guerre. »

XLVI. Maroboduus n’était pas moins prodigue d’éloges pour lui-même, d’injures contre l’ennemi. Tenant Inguiomère par la main, « Voilà, disait-il, le véritable héros des Chérusques ; voilà celui dont les conseils ont préparé tout ce qui a réussi. » Puis il peignait Arminius comme « un furieux dénué d’expérience, qui se parait d’une gloire étrangère, pour avoir surpris, à force de perfidie, trois légions incomplètes et un chef trop confiant ; succès funeste à la Germanie et honteux à son auteur, dont la femme, dont le fils, subissaient encore l’esclavage[2]. Lui, au contraire, menacé par douze légions ayant Tibère à leur tête, il avait conservé sans tache l’honneur des Germains et traité ensuite d’égal à égal : et certes il ne regrettait pas d’avoir mis son pays dans une position telle envers les Romains, qu’il pût choisir entre une guerre où ses forces seraient entières, et une paix qui n’avait point coûté de sang. »

  1. Strabon, VII, 1, § 3, nous fournit l’explication de ce reproche : Maroboduus avait habité Rome pendant sa jeunesse, et avait reçu des bienfaits d’Auguste. C’est après son retour en Germanie que, de simple particulier, il se fit chef de sa nation, établie, suivant l’opinion la plus commune entre le Rhin, le Mein et le Danube, et la transplanta en Bohême.
  2. Voy. livre I, chap. lviii.