Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/620

Cette page n’a pas encore été corrigée

J’aimois, et c’est l’aveu d’un insolent amour
Qui m’avoit su déjà rendre indigne du jour.
Le ciel juste par tout fait plus qu’on n’osoit croire,
Punissant mon audace il conserve ma gloire,
Et me souffre l’espoir d’un assez doux repos,
Pourvu que ma princesse… il expire à ces mots,
Et l’amour à la mort par une juste envie
Dérobe le soupir qui termine sa vie.

HONORIUS

Enfin un plein succès a suivi vos refus,
Vous triomphez, ma sœur, Eucherius n’est plus.
Ayant vu contre lui l’imposture soufferte,
Il a pour l’étouffer précipité sa perte,
Et crû dans les soupçons d’un crime lâche et bas
Un affront assez grand pour n’y survivre pas.

PLACIDIE

Ah, seigneur, il vous faut ouvrir toute mon âme,
Mon orgueil jusqu’ici s’est immolé ma flamme,
Mais quand d’Eucherius j’ai creusé le cercueil
Je dois à mon amour immoler mon orgueil.
Ce héros dont toujours la vertu m’a charmée,
N’eut point été suspect s’il ne m’eut pas aimée,
Et l’injuste refus d’avouer son amour
A causé l’accident qui le prive du jour.
Je l’aimois toutefois, mais de cette victoire
Ma jalouse fierté lui déroboit la gloire.
Je le voulois au trône, et l’ardeur de régner
M’offroit dans ce défaut de quoi le dédaigner.
Ces dédains affectez ne cherchoient qu’à vous dire
Qu’il auroit su me plaire en partageant l’empire,
Et j’osois me flatter que pour prix de sa foi
Vous le sauriez par là rendre digne de moi.
Enfin il ne vit plus, et de mon arrogance
Je dois à sa chère ombre une pleine vengeance.
D’un trop superbe espoir le succès décevant
Veut qu’il obtienne mort ce qu’il n’a pu vivant,
Qu’avec éclat pour lui mon cœur toujours s’explique,
Qu’ainsi que mon orgueil ma flamme soit publique,