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PLACIDIE

Va, je hais les dédains qui t’en cachoient l’estime,
S’ils te font ignorer la moitié de ton crime,
Et veux bien un moment oublier ma fierté,
Pour te reprocher mieux toute ta lâcheté.
L’attentat le plus noir t’acquiert le nom de traître,
Je t’en vois convaincu vers l’état, vers ton maître,
Mais je n’y puis penser que surprise d’effroi
Je n’en trouve un second qui ne touche que moi.
Ne dis plus qu’à tes vœux mon cœur fut inflexible,
Tout superbe qu’il est, tu l’as rendu sensible,
Et son plus vaste orgueil n’a pu le garantir
D’admirer ce qu’enfin je te vois démentir.
C’est là ce crime, ingrat, où t’aida ma foiblesse ;
Tu m’as injustement dérobé ma tendresse,
Je me suis crue aimée, et l’offre de ta foi
Sur ta feinte vertu m’a répondu de toi.
L’amour qui contre moi soutenoit un perfide,
La peignoit à mes yeux et brillante et solide,
Et toujours cet éclat pour toi m’intéressant,
Si Felix n’eut parlé, t’auroit fait innocent.
Oui, pour juger en toi l’innocence opprimée,
Il m’a suffit d’aimer, et de me croire aimée,
Et de voir qu’en secret ma plus fière rigueur,
Te refusant ma main, t’abandonnoit mon cœur.
L’aveu m’en est honteux, mais j’ai cet avantage
Qu’au moins ton sang est prêt d’en réparer l’outrage,
Et que l’éclat trompeur dont tu sus m’éblouir
N’a pu me l’arracher quand tu pus en jouir.

EUCHERIUS

Ah ! Souffrez qu’à loisir j’en goûte tous les charmes.
La calomnie enfin me cause peu d’alarmes,
De mon destin trop tôt je m’étois défié,
L’amour parle pour moi, je suis justifié.
Avec tant de fureur l’imposture m’accable,
Qu’à croire ce qu’on voit, je dois être coupable,
Et quand tout me confond, Zénon assassiné
Laisse pour me convaincre un témoin suborné ;