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PLACIDIE

Mais, Lucile, je l’aime.
S’il peut feindre avec moi, puis-je feindre de même,
Et crois-tu que mon cœur put trahir ma fierté
Jusqu’à vouloir s’entendre avec sa lâcheté ?
Non, non, ces vains dehors d’une fausse tendresse
N’éblouissent jamais les yeux d’une princesse ;
Elle prend dans son sang l’infaillible pouvoir
De donner de l’amour avant qu’en recevoir.
Incapable d’erreur dans les feux qu’elle excite,
Elle y voit la vertu soutenir le mérite,
Et sur ces seuls garants se laissant enflammer,
Est sûre d’être aimée alors qu’elle ose aimer.

LUCILE

Ce droit d’un sang illustre est le vif caractère ;
Mais absoudre le fils, c’est condamner le père.
Croirez-vous Stilicon capable d’attenter ?

PLACIDIE

Il aime l’empereur, on n’en sauroit douter,
Ce qu’il a fait pour lui défend qu’on le soupçonne ;
Mais dans sa dureté son courage m’étonne,
Et je ne comprends point quel jaloux désespoir
Immole Eucherius à son triste devoir.
Si l’amour en secret m’en fait voir l’innocence,
Le sang pour l’éclairer n’a pas moins de puissance,
Et ces douces clartés devroient également
Lui répondre d’un fils comme à moi d’un amant.

LUCILE

Voici par qui savoir qui des deux est à plaindre.