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Mes vœux d’Eucherius embrassent la défense,
J’en voudrois déjà voir éclater l’innocence,
Et par l’effet d’un charme aussi doux que pressant,
Je crains pour mon orgueil s’il se trouve innocent.
À voir un malheureux que le destin opprime,
On laisse agir pour lui tout ce qu’on eut d’estime,
Et quoi qu’assez souvent l’amour s’y trouve joint,
La pitié l’autorise, on ne s’en défend point.
L’âme qu’elle séduit s’en laissant trop atteindre,
Prend sujet d’admirer ce qu’elle voit à plaindre.
En vain dans cette ardeur on la veut refroidir,
Elle se trouve émue, et s’en ose applaudir ;
Et croyant d’elle-même être toujours maîtresse,
Sur sa compassion excuse sa tendresse.
C’est par ce sentiment qui sembloit m’y forcer,
Que pour Eucherius j’ai crû m’intéresser ;
Sa vertu que soutient l’éclat le plus insigne,
D’un soupçon lâche et bas me l’a fait voir indigne,
Et pour en repousser l’injurieux abus,
J’ai suivi de mon cœur le mouvement confus.
Ce cœur s’est attendri, mais quoi qu’il en soupire,
Je doute si jamais il s’en voudra dédire,
Et si dans un sujet son fier emportement
Dédaignera toujours d’avouer un amant.

LUCILE

Quelque tendre pitié qui vous porte à le plaindre,
Il n’est guère en état de vous la faire craindre.
La conjecture est forte, et l’indice pressant ;
tout le rend criminel.

PLACIDIE

mais il est innocent,
Et de quoi que son cœur pour régner fut capable,
Quiconque ose m’aimer ne peut être coupable.

LUCILE

Un si beau sentiment feroit tout présumer,
Si l’on aimoit toujours quand on jure d’aimer.
Il peut feindre avec vous.