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Et mon malheur est tel, que mon sort le plus doux
Est d’avoir quelque lieu de douter entre vous.
Doutons, puisque par là du moins en apparence
Le criminel encore garde quelque innocence.
Dures extrémités où je me vois réduit !
Ce que je dois à l’un est par l’autre détruit.
Tous deux contre un ingrat m’ont fait voir même zèle,
Mais si dans mon malheur l’un me reste fidèle,
Mon cœur est sur ce choix contraint de balancer ;
Il a peur de punir s’il veut récompenser,
Et n’ose à l’innocent se rendre favorable,
De crainte en le cherchant de trouver le coupable.
Qui que tu puisses être, ô coupable trop cher,
Qui confondant ton crime as l’art de te cacher,
Dût l’erreur où je suis me devenir funeste,
Laisse-m’en la douceur, c’est tout ce qui me reste.
Cette incertaine mort dont je suis menacé
Me plaît mieux que la tienne où je serois forcé,
Et je n’ai point à craindre un destin plus contraire
Qu’être réduit à perdre une teste si chère ;
De tous ses coups pour moi c’est là le plus affreux.
Pour couvrir le coupable offre-m’en toujours deux,
Empêche l’innocent de se faire connoître,
Et parois-le du moins puisque tu ne peux l’être.

Stilicon

Ah, seigneur ! Dans l’horreur dont je me sens frappé
Pardonnez si mon trouble est si tard dissipé,
Et si tant de bontés m’arrachent avec peine
Le déplorable aveu qui m’acquiert votre haine.
Je le nierois en vain, le crime est avéré,
Eucherius ou moi nous avons conspiré,
Le malheur de Zénon en convainc l’un ou l’autre,
Et quand son sang versé marque la soif du vôtre,
Un scrupule douteux retient trop votre bras.
Si le coupable l’est, le crime ne l’est pas.
Il faut punir, seigneur, et sans incertitude
Votre courroux m’en doit la peine la plus rude,