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Et l’hymen dont l’horreur accable mon amour
Est le plus sûr moyen de me priver du jour.

PLACIDIE

Moi, j’ai fait quelque effort pour éteindre en ton âme
Ce que tes vœux offerts m’y firent voir de flamme,
Et l’aigreur dont tu crois qu’elle ait dû m’animer
Ne t’auroit pu souffrir la liberté d’aimer ?

EUCHERIUS

Qu’a donc fait ce mépris à mes vœux si contraire ?

PLACIDIE

Il a dû te défendre un espoir téméraire ;
Mais en vain ton amour en craindroit la rigueur,
Il part de ma naissance, et non pas de mon cœur,
Et la gloire d’aimer sans voir rien à prétendre,
Est le plus digne prix qu’un beau feu doive attendre.

EUCHERIUS

Le mien de cette gloire est pleinement charmé ;
Mais hélas ! Aime-t-on sans vouloir être aimé ?

PLACIDIE

Ne crois pas que jamais l’orgueil du diadème
Relâche une princesse à confesser qu’elle aime,
Et que sur ses désirs son rang puisse si peu,
Qu’il la laisse descendre à ce honteux aveu ;
Mais comme d’injustice il la rend incapable,
Il faut examiner ce qu’on a d’estimable,
Voir en soi ce qu’en eux les vrais héros ont eu,
Se convaincre en secret de toute leur vertu,
S’en pouvoir applaudir, et sur un si bon signe
Se répondre du cœur dont l’on se trouve digne.
Non qu’enfin ce ne fut un bonheur assez vain
De mériter ce cœur sans mériter la main ;
Mais c’est toujours beaucoup à qui n’y peut prétendre,
Qu’au seul crime du sort ayant droit de s’en prendre,
On ne lui puisse au moins dans un malheur si grand,
Reprocher qu’un défaut dont il n’est pas garant.

EUCHERIUS

Ah, si par ce défaut ma passion extrême…