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N’aigrira pas si peu la douleur d’un amant,
Qu’à sa triste disgrâce il survive un moment ;
Mais puisqu’un sceptre seul peut remplir votre attente,
Je mourrai trop heureux de vous laisser contente,
Et du moins ce succès de vos plus chers désirs
Mêlera quelque joie à mes derniers soupirs.

PLACIDIE

Ta passion t’aveugle alors qu’elle me brave ;
Renonçant à mon cœur tu le fais ton esclave,
Et de ton désespoir suivant l’injuste loi,
Tu prends droit de donner ce qui n’est pas à toi.
Connois, Eucherius, connois mieux ta princesse ;
Si de l’ambition la noble ardeur me presse,
Un trône n’est pas tant qu’il me doive coûter
La honte du secours qui m’y feroit monter.
Quel zèle injurieux, quelle vertu maligne
Brigue pour moi le rang dont ma naissance est digne,
Et te fait hasarder un téméraire effort
Pour attirer sur toi la gloire de mon sort ?
Doutes-tu qu’en secret mon sang ne me réponde
D’élever mon destin à l’empire du monde,
Et que son juste orgueil ne porte mes regards
Jusqu’à pouvoir un jour lui laisser des Césars ?
Règle mieux tes conseils, et bornes-en l’audace ;
Je ne veux rien devoir où je puis faire grâce,
Et si toujours le trône échauffe mon désir,
Il est des rois pour moi quand je voudrois choisir.

EUCHERIUS

Je sais qu’il n’en est point à qui l’amour n’ordonne
De venir à vos pieds abaisser leur couronne,
Et du choix d’Alaric si j’ai paru jaloux,
C’est sans m’être flatté de rien faire pour vous.
J’ai voulu seulement par une mort plus prompte
D’un hommage odieux vous épargner la honte,
Et dérober ce cœur qui se sent trop charmer,
Au crime glorieux de vous oser aimer.
Vous en donnez l’arrêt, c’est à moi de le suivre ;
Mais pour cesser d’aimer, je dois cesser de vivre,