Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/565

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais d’un indigne sort le coup le plus fatal
Ne la fait point céder à l’espoir d’un rival.
Quand il faut que l’amour jusques-là se trahisse,
La révolte plaît mieux qu’un si grand sacrifice,
Et quelque âpre revers dont l’on soit combattu,
C’est aimer lâchement qu’avoir tant de vertu.

LUCILE

Et bien, sa lâcheté va jusques à l’extrême.
Si vous le haïssez, qu’importe qu’il vous aime,
Et par quel intérêt vous pouvez-vous fâcher
Qu’il affecte un amour qui ne vous peut toucher ?

PLACIDIE

Quel intérêt, hélas !

LUCILE

Votre cœur en soupire ?

PLACIDIE

Ce soupir t’en dit plus que je n’en voulois dire ;
Tu viens de trouver l’art de me le dérober.
Cache-toi la foiblesse où tu me vois tomber,
Lucile, et s’il se peut, te déguisant ma peine,
Prends un effet d’amour pour des marques de haine.

LUCILE

Vous, de l’amour, madame ?

PLACIDIE

Étonne, étonne-toi
De ce qu’il faut enfin confier à ta foi.
J’aime, et ce feu secret qui contraint ma franchise
L’eut combattue en vain s’il ne l’eut pas surprise ;
Il l’a pu d’autant mieux que contre son ardeur
Mon orgueil me sembla répondre de mon cœur,
Et me fit négliger le soin de me défendre
D’estimer un sujet indigne d’y prétendre.
Ainsi d’Eucherius le zèle officieux
Cent fois sur sa vertu sut arrêter mes yeux ;
J’en connus tout le prix, j’en goûtai tous les charmes,
Je m’en sentis émue, et n’en pris point d’alarmes ;
De l’éclat de mon sang la jalouse fierté
Au milieu du péril faisoit ma sûreté.