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Et que s’il peut l’apprendre, il n’est rien qu’il ne fasse
Pour détruire un projet qui le met en sa place.
D’ailleurs aimant ce fils, je lui dois épargner
Tout ce qui le rendroit indigne de régner.
La tendresse pour lui qu’il faut que je soutienne,
Aime à sauver sa gloire aux dépens de la mienne,
Et comme le mépris qui s’attache à son rang
Prend en lui pour objet la honte de mon sang,
Pour l’en justifier sans noircir son estime,
Mon cœur à sa vertu veut bien prêter un crime,
Et pour le couronner, y courant sans effroi
Le venger de l’affront d’être sorti de moi.

MUTIAN

J’admire pour un fils l’ardeur qui vous anime ;
Mais songez-vous assez jusques où va ce crime,
Et que tout l’avenir condamnant sa fureur
Ne l’examinera que pour en prendre horreur ?

Stilicon

Va, va, si l’avenir ne lui fait point de grâce,
Il en louera du moins l’inébranlable audace,
Et rendra ce qu’il doit aux surprenants transports
Qui me font voir le crime, et braver le remords.
Peins-toi mon entreprise encore plus effroyable ;
Une grande âme seule en peut être capable.
Plus l’attentat est noir, plus son indignité
Veut du cœur le plus haut l’entière fermeté
Des plus sacrez devoirs étouffer le murmure
C’est à ses passions asservir la nature ;
Cet effort ne part point d’un courage abattu,
Et pour faire un grand crime il faut de la vertu.

MUTIAN

Ce genre de vertu touche un peu trop votre âme.

Stilicon

Enfin tu veux en vain que j’en craigne le blâme,
La chose est résolue, et tout prêt d’éclater,
Un lâche repentir ne sauroit m’arrêter.
Il faut sans balancer que dès cette nuit même
La mort d’Honorius couronne un fils que j’aime.