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Il n’est pas impossible à qui peut m’estimer
De se pouvoir enfin résoudre de m’aimer ;
Et si de mes défauts l’exacte connoissance
Ne vous pouvoit souffrir de m’en voir l’espérance,
Vous oublieriez du moins que par des vœux trop doux
L’orgueil de Codoman s’élève jusqu’à vous.

STATIRA

Quoi, tu crains Codoman, et tu sais sa disgrâce ?

MÉGABISE

Je crains dans votre cœur l’Ennemi qui m’en chasse,
Et vois trop qu’il n’exige un refus si fatal,
Que pour se conserver à cet heureux Rival.

STATIRA

Je plains dans son malheur le revers qui l’opprime,
Et quand je te demande un effort magnanime,
Je ne te dirai point qui presse mon ennui,
Si c’est haine pour toi, si c’est amour pour lui ;
Mais soit l’une, soit l’autre, aurai-je moins de peine
À chasser cet amour qu’à vaincre cette haine,
Et m’arrachant un cœur qui doit suivre ma foi,
Pourras-tu t’assurer que ce cœur soit à toi ?
Tâche à te contenter d’avoir droit d’y prétendre,
Mérites-en le don refusant de le prendre.
Je te l’ai déjà dit, renoncer à ma foi
C’est te mettre en état d’être digne de moi.
Donne à mes tristes vœux ce noble sacrifice,
Convaincs-moi d’être injuste en leur rendant justice,
Et fais que ma vertu qui cherche à t’estimer,
Me force à me haïr de ne pouvoir t’aimer.

MÉGABISE

Et l’ardeur de mon zèle, et mon amour extrême
Peuvent seuls obtenir que ma Princesse m’aime,
Et comme enfin ce bien dont j’ose me flatter
Est un prix glorieux qu’on ne peut mériter,
J’attendrai de mes soins et d’un respect insigne
Tout ce qui peut un jour m’en rendre moins indigne ;
Mais que jusqu’au refus je puisse me trahir,
Le Roi parle, Madame, et je dois obéir.