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Et me fait murmurer d’être trop estimé,
S’il faut que je renonce à l’espoir d’être aimé.
Que me sert en effet une estime si haute,
Si mon amour aspire à tout ce qu’elle m’ôte,
Et si pour la remplir ses mouvements jaloux
Se font sacrifier ce qu’il voit de plus doux ?

STATIRA

Plût au Ciel que l’amour dont tu me peins la flamme,
Seul contre ta vertu fît révolter ton âme,
Sans qu’à l’ambition ton cœur assujetti
Par l’intérêt d’un Trône en soutint le parti.
Alors cette vertu sur tes sens souveraine
De leur rébellion triompheroit sans peine,
Et sauroit les réduire à voir qu’en ses souhaits
Le vrai, le pur amour, ne s’emporte jamais,
Que c’est un fier vainqueur, qui jaloux de sa gloire
Aspire à mériter le prix de sa victoire,
Et du plus doux empire estime peu l’espoir,
S’il doit tenir d’ailleurs ce qu’il veut se devoir.
Alors tu concevrois, que si ton cœur sensible
Apporte à mon bonheur un obstacle invincible,
Ces mouvements secrets qui s’opposent au tien,
Ne sont pas plus aisés à vaincre dans le mien,
Et sans examiner, si quoi que je t’estime
Mon aversion seule est ce qui les anime,
Tu te ressouviendrois qu’avant l’ordre du Roi
La beauté d’Amestris eut des charmes pour toi.

MÉGABISE

Et bien, je suis haï, mais plût au Ciel, Madame,
Que votre seule haine inquiétât ma flamme,
Sans que les nœuds secrets d’une autre passion
Pussent rien ajouter à cette aversion.
Alors votre vertu de vos désirs maîtresse
Verroit dans cette haine une ombre de foiblesse,
Et qu’un grand cœur jamais n’en suit le mouvement,
Quand un principe aveugle en est le fondement.
Alors vous concevriez qu’un assidu service
Devant avec le temps en forcer l’injustice,