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STATIRA

J’ai pour toi trop d’estime, et quand ton espoir cesse,
Ma vertu me répond en vain de ma foiblesse.
Prête-moi ton exemple à la fortifier ;
Pour en venir à bout tu n’as qu’à m’oublier.

DARIUS

Ah ! Cessez un discours dont la suite m’accable.
Qui conseille l’oubli s’en doit croire capable,
Et qui le fait paroître, oblige à présumer,
Ou qu’il n’aima jamais, ou qu’il sait mal aimer.
Le véritable amour pour rien ne se relâche ;
Plus son malheur est grand, plus son objet l’attache,
Et s’il se voit réduit à cacher ses transports
Il le venge au-dedans des feintes du dehors.
Quoi que j’aie à languir sous un revers indigne,
Laissez-moi l’endurer sans m’en souhaiter digne,
Et ne m’exposez point au déplaisir affreux
De voir que je déplaise à mourir malheureux.
Est-ce peu du destin dont la rigueur m’opprime ?
Pour la justifier dois-je commettre un crime,
Et par ce lâche oubli déshonorant ma foi,
Mériter ma disgrâce, et le mépris du Roi ?
Non, non, ma destinée est glorieuse et belle,
Je vis pour ma Princesse, et je mourrai pour elle,
Sans qu’aucun engagement aide au sort qui me perd
À me chasser d’un cœur où l’amour m’a souffert.

STATIRA

Quoi ! Tu serois jaloux qu’une triste victoire
Me permît d’immoler cet amour à ma gloire,
Et dérobât mon âme à ces troubles puissants
Qu’oppose à la raison la révolte des sens ?
Hélas ! Juge des maux que le Ciel me prépare.
Cet effort seroit grand, et si tu veux, barbare,
Mais un plus rude encor vient de m’être prescrit,
Sous qui ma vertu tremble, et mon devoir frémit.

DARIUS

Quoi, plus que m’oublier ?