Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/487

Cette page n’a pas encore été corrigée
OCHUS

Un peu de nom acquis rend votre audace extrême ;
Mais en vous emportant au-delà de vous-même,
Gardez qu’il ne me force à vous faire rentrer
Dans ce honteux néant dont j’ai su vous tirer.

DARIUS

J’y rentrerai, Seigneur, c’est mon plus doux partage,
Et si de ce néant vous prenez avantage,
Au moins l’ai-je rendu si beau, si glorieux,
Qu’il vaut bien le brillant d’une suite d’Aïeux.
C’est pour laisser de nous une triste mémoire
Que de n’être fameux que de leur seule gloire,
Et prétendre aux grands noms sur un fragile appui,
Qu’en emprunter l’éclat de la vertu d’autrui.
Qu’on se trouve en naissant au trône, ou dans la boue,
Ce sont coups du hasard dont le Destin se joue,
Et jamais un grand cœur ne tire vanité
De ce qu’a fait pour lui son inégalité.
Quel que soit son mérite, il en fuit l’avantage,
S’il n’en est convaincu par son propre suffrage.
En vain à quelque orgueil son rang l’ose enhardir,
Il se juge au-dedans avant que s’applaudir,
S’il répond de sa gloire, en fait le prix soi-même,
Et quelque vaste éclat dont brille un Diadème,
Tout ce pompeux dehors n’a point assez d’appas
Pour lui faire estimer ce qu’il ne se doit pas.
Qui que je sois enfin, peut-être que né Prince
J’ai pour braver le Sort choisi cette Province,
Et viens y faire voir que sang appui du sang
La vertu peut de soi prétendre au plus haut rang.
Quel surcroît après tout de gloire et de puissance
Vous peut du plus grand Prince apporter l’alliance,
Et que prétendez-vous d’un Gendre couronné,
Que l’effort de ce bras ne vous ait pas donné ?
Si le bandeau Royal en doit ceindre la tête,
De trois Sceptres voisins j’ai fait votre conquête,
Sur cent peuples par moi vous régnez aujourd’hui,
Et j’ai gagné pour vous plus qu’il n’aura pour lui.