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Ne te souvient-il plus avec quelle chaleur
Elle m’a fait cent fois admirer sa valeur ;
Que voulant à sa gloire acquérir mon suffrage,
Elle s’étudioit à m’en tracer l’image,
Et sembloit mendier par cet adroit détour
L’aveu du trop d’estime où l’engageoit l’amour ?
C’est ce qui de mon cœur me cacha la foiblesse ;
Je ne crus qu’admirer, mais j’admirai sans cesse,
Et ce flatteur appas séduisant ma raison,
De mes sens révoltés couvrit la trahison.
Un je ne sais quel trouble où je me vis réduire
De leur rébellion voulut en vain m’instruire,
Mon orgueil aima mieux hasarder mon repos
Que de souffrir ailleurs l’hommage d’un Héros ;
Mais ce fier sentiment dont ma vertu murmure,
Pour surprendre mon cœur n’étoit qu’une imposture,
Et j’ai trop reconnu, m’en laissant enflammer,
Que qui veut être aimée a résolu d’aimer.

BARSINE

L’hommage d’un Héros dont la gloire est Maîtresse,
Est digne de l’orgueil d’une grande Princesse,
Mais quoi qu’à Codoman le vôtre ait déféré,
En recevant ses voeux, qu’avez-vous espéré ?

STATIRA

Ah, que de mon secret ton âme trop grossière
Pour juger d’un beau feu tire peu de lumière,
Si tu crois qu’un grand cœur qui s’en laisse saisir
Consulte en lui cédant l’espoir ou le désir !
Ce sont peut-être ailleurs des charmes légitimes ;
Mais l’amour chez les Grands suit bien d’autres maximes.
Comme à la vertu seule il rend un doux tribut,
Aimer borne sa gloire, aimer est tout son but.
Sans rien chercher de plus il met son heur suprême
À tenir son objet renfermé dans soi-même,
Sans cesse il l’examine, il l’observe, il le sert,
Et ne connoît l’espoir qu’au moment qu’il le perd.