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MARCIA

D’ingratitude à tort c’est vouloir m’accuser.
Qui peut promettre tout, ne veut rien refuser,
Et je hais la vertu qui, quoi que je propose,
Vous fait prétendre peu quand je dois toute chose.
Un grand cœur est injuste à n’agir que pour soi.

ÉLECTUS

Hélas ! C’est peu pour vous, mais c’est beaucoup pour moi,
Et puisque enfin le mien succombe à ma foiblesse,
Tout ce que je demande au tourment qui me presse,
C’est que vous consentiez à plaindre un malheureux
Que poursuit sans relâche un destin rigoureux,
Qui cherche malgré lui ce qu’il faut qu’il évite,
Qui voit un gouffre ouvert, et qui s’y précipite,
Et qu’enfin abandonne à tout votre courroux
L’indispensable loi de soupirer pour vous.

MARCIA

Que m’osez-vous apprendre,
ÉLECTUS
 ?
ÉLECTUS

Ah, Madame.
Déjà votre vertu s’indigne de ma flamme,
Et j’avois bien prévu qu’avec trop de rigueur
Son intérêt contre elle armeroit votre cœur ;
Mais si je suis coupable en suivant votre empire,
C’est moins d’oser aimer, que d’oser vous le dire,
Et le plus fier scrupule examinant mon feu
N’y sauroit condamner qu’un indiscret aveu.
Il m’échappe, et ma mort sans doute est légitime,
Si d’un crime forcé l’apparence est un crime.
J’en viens presser l’arrêt, mais il m’est rigoureux,
Si je meurs criminel plutôt que malheureux,
Et si ce feu qui règne en ce cœur qui vous aime
Porte un crime en son nom qu’il n’a pas en soi-même.

MARCIA

S’il est vrai que ce cœur, trop prompt à s’enflammer,
Au peu que j’ai d’appas se soit laissé charmer,