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ANAXARIS

D’un triomphe trop bas vous dédaignez la gloire ;
Mais si je ne vous aime…

BÉRÉNICE

Et bien, je le veux croire,
Et plus juste pour toi qu’on n’eût pu présumer,
Je consens même encor que m’oses aimer.

ANAXARIS

Ah, ce n’est qu’à vos pieds…

BÉRÉNICE

Ne fais point de bassesses.
L’amour dans les grands cœurs hait ces molles tendresses,
Et quoi que sur le tien il ait pris de pouvoir,
Je te donne l’exemple, ose le recevoir.
J’aime, et ma lâcheté seroit sans doute extrême
Si je cessais jamais d’aimer autant que j’aime ;
Mais quand de mon devoir l’inexorable loi
Dérobe à Philoxène et mon cœur et ma foi,
Quoi qu’en dépit du sort tout mon cœur lui demeure,
Sous l’effort du silence il est beau que je meure,
Plutôt que mon amour dans ce cœur renfermé,
Lui fasse découvrir qu’il soit encor aimé.
Voilà les sentiments que la gloire m’inspire.
Prends-les pour règle aux tiens, aime sans en rien dire,
Et tandis qu’en secret je saurai soupirer,
Si j’ai part dans tes voeux, laisse-moi l’ignorer.
La contrainte pour toi sera d’autant moins rude,
Que déjà ton amour en a pris l’habitude,
Et qu’à taire sa flamme un cœur accoutumé
Peut renoncer sans peine à l’espoir d’être aimé.

ANAXARIS

J’y renonçois pour vous quand l’heureux Philoxène
D’un légitime espoir pouvoit flatter sa peine ;
Mais puisque indigne enfin d’un bien qu’il doit quitter…

BÉRÉNICE

Et par où mieux que lui crois-tu le mériter ?