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ANAXARIS

Madame, j’ai tâché de faire davantage,
Et si pour moi le Peuple eût dompté son courroux,
Philoxène aujourd’hui seroit digne de vous.
Vingt fois j’ai fait ouïr qu’on ne pouvoit sans crime
Défendre à son amour un espoir légitime,
Et qu’il étoit permis de violer nos lois
En faveur des Héros, aussi bien que des Rois ;
Mais des raisons d’État font que chacun s’obstine.
L’hymen d’un Étranger en seroit la ruine,
Et l’indignation feroit armer soudain
Tous ceux que peut flatter l’espoir de votre main.

BÉRÉNICE

Cet effort est l’effet d’une vertu sublime.

ANAXARIS

Il semble assez payé puisqu’il a votre estime ;
Mais c’est peu que pour vous il paraisse entrepris,
Votre cœur, quoi qu’il pense, en connoît mal le prix,
Et je le perds sans doute à souffrir qu’il ignore
Que je sers Philoxène, et que je vous adore.

BÉRÉNICE

Moi ?

ANAXARIS

Déjà dans vos yeux je lis votre courroux ;
Mais enfin je vous aime, et je n’aime que vous,
Et peut-être, Madame, après un long martyre,
Il me doit être au moins permis de vous le dire.
Je sais que cet aveu, malgré tout mon respect,
À n’examiner rien, vous peut-être suspect ;
Mais avant qu’écouter une aveugle colère,
Instruisez votre cœur de ce que j’ai su faire,
Et si de mon audace il trouve à s’offenser,
Voyez à quoi pour vous le mien s’est pu forcer.
À vos seuls intérêts donnant toute mon âme,
En vain l’appui du Roi semble assurer ma flamme,
J’en détruis tout l’espoir plutôt que vous priver
Du rang où Philoxène aime à vous élever.