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Le Destin a pour toi la dernière rigueur,
Mais ce n’est pas assez pour retirer ton cœur,
Et le manque d’espoir qui rend ta flamme à plaindre,
Ne te donne pas le droit de chercher à l’éteindre.
Si d’abord en m’aimant tu parus généreux,
Ose m’aimer encor pour vivre malheureux.
Cette double disgrâce à qui ta raison cède,
Ne trouve dans la mort qu’un indigne remède.
N’en cherche point la honte, et loin d’y recourir,
Tâche à me disputer la gloire de souffrir.
La victoire en ce point doit sur toi m’être acquise
Que la plainte à tes maux sera du moins permise,
Et qu’un cruel devoir contraignant mes désirs,
Me va faire en secret dévorer mes soupirs.

PHILOXÈNE

Ah, Madame, c’est trop ; ma douleur est forcée
De vous laisser paroître une âme intéressée,
Qui pressant sur la vôtre un rigoureux effort,
Ne vous le conseilloit que pour hâter ma mort.
Oui, j’avois beau vouloir me montrer insensible,
Si vous m’eussiez pu croire elle étoit infaillible,
Et par sa promptitude elle m’eût délivré
De l’affreux désespoir d’avoir trop espéré.
Hélas ! À quels malheurs ma fortune est en butte !
Vous ne vous élevez qu’au moment de ma chute.
Princesse un peu plus tôt, Princesse un peu plus tard,
J’étois heureux sans crime encor que par hasard.
Le sort pour vous placer où vous n’osiez prétendre,
Choisit l’instant fatal qu’il me force à descendre ;
Après vingt ans de haine il calme son courroux,
Vous en étiez indigne, et je le suis de vous.

BÉRÉNICE

Au moins en te plaignant ne me fais point d’outrage.
Je change de fortune et non pas de courage,
Et tu ne saurois être en ce commun malheur
Digne de mes soupirs sans l’être de mon cœur.