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PHILOCLÉE

Quoi, ce vieux Gouverneur, dont ce Prince autrefois
Pour conserver un fils crut faire un digne choix,
Lorsque de son hymen l’audace découverte
Porta le Roi son père à résoudre sa perte,
Et que pour éviter un malheur si pressant
Ce fils de son exil reçût l’ordre en naissant,
Par un coupable échange et facile à connoître,
Aurait pu supposer un faux Prince à son Maître ?

ROI

Quand du défit du trône un cœur est combattu,
Le crime qui l’acquiert lui tient lieu de vertu,
Et comme redoutant quelque embûche secrète
Cléophis sut cacher le lieu de sa retraite,
Où le suivit un fils, dont la rigueur du sort
Pendant ce triste exil lui fit pleurer la mort,
Étant d’un âge égal il put rendre sans peine
Ce fils qu’il feignit mort, au lieu de Philoxène.

ANAXARIS

Échange malheureux dont la honte le perd !

PHILOCLÉE

Mais à qui Cléophis s’en seroit-il ouvert ?
D’où l’a-t-on pu savoir.

ROI

On l’a su de sa femme,
Qui perdant la raison au point de rendre l’âme,
Dans son extravagance a repéré cent fois
Que l’on avoit trahi le vrai sang de ses Rois,
Que la peine sur elle en étoit répandue,
Qu’au seul Alcidamas la Couronne étoit due,
Et qu’enfin tout l’État par son crime abusé
Aimait dans Philoxène un Prince supposé.
On l’écoute ; elle garde un assez long silence ;
Puis son mal tout à coup perdant sa violence,
D’un ton plein de langueur, mais plus libre d’esprit,
Elle confirme encor tout ce qu’elle avoit dit,
Et sa voix s’abaissant en ce moment funeste ;
De Cléophis, dit-elle, on peut savoir le reste.