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Je sais bien que le rang que j’ai dans cet Empire,
À l’orgueil le plus vaste auroit de quoi suffire ;
Mais à qui porte un cœur vraiment ambitieux,
Au destin de sa tête il ne faut que les Dieux.
Si mon destin est haut, songe qu’il peut s’accroître,
Et par ce que je suis vois ce que je veux être.

IPHITE

Mais enfin vous aimez ?

ANAXARIS

C’est là mon désespoir,
Mais une ardeur plus forte a sur moi tout pouvoir,
Et dans le rang affreux où je me considère,
Sans ambition même elle m’est nécessaire.
Lorsque si près du trône on s’est pu rencontrer,
La chute est infaillible à qui n’y peut entrer.
C’est un sentier étroit dont le penchant qui glisse
Offre de tous côtés l’horreur du précipice,
Et si par la faveur on peut y parvenir,
Le mérite est bien fort qui s’y peut soutenir ;
Car la faveur enfin n’est, à la bien résoudre,
Qu’un nuage brillant où se forme la foudre,
Dont le coup incertain, avant que d’éclater,
Alarme d’autant plus qu’on ne peut l’éviter.
Ne présume donc point que mon âme aveuglée,
Sans bien s’examiner, préfère Philoclée.
L’Amour m’appelle ailleurs, mon cœur parle pour lui,
Mais je la vois au trône, et j’en cherche l’appui.

IPHITE

Gardez d’aigrir le Roi.

ANAXARIS

Bien loin qu’il s’en offense,
De mon secret espoir il est d’intelligence,
Et le bruit d’un hymen hautement publié
N’est que pour satisfaire un Roi son Allié.
Non que pour lui montrer un zèle plus sincère
Je n’offre à l’accomplir s’il s’agit de lui plaire,
Mais l’offre n’est qu’adresse, et quoi que l’on eût fait,
Bérénice aime trop pour en souffrir l’effet.