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Mon cœur de son succès paroîtroit plus jaloux
Si vous perdiez en moi ce que je perds en vous ;
Mais quand votre intérêt veut que je vous arrache
Au malheur qui me suit, et que l’amour vous cache,
Un si beau sentiment ne sauroit endurer
Que de lâches soupirs l’osent déshonorer.

PHILOXÈNE

Et vous ne voyez pas dans cette noble envie
Que m’ôter votre amour c’est m’arracher la vie,
Et que votre vertu conspire contre moi
Si par son vain scrupule il échappe à ma foi ?
Que le Roi s’en indigne, ou que l’État murmure,
Ce cœur vous l’a donnée inviolable, pure,
Et je prends aujourd’hui tous les Dieux pour témoins
Que l’effet qu’elle attend ne le sera pas moins.

BÉRÉNICE

Vous pourriez l’espérer si le Roi votre père
Souffroit à sa raison de régler sa colère,
Mais bien loin que le sang lui parle pour un fils…

PHILOXÈNE

Attendons le retour au moins de Cléophis.
Il l’estime, il l’écoute, et comme à sa prudence
Il daigna confier ma vie, et mon enfance,
De ce vieux Gouverneur la sage autorité
Peut-être adoucira son esprit irrité.
Par lui mieux informé de tout ce que vous êtes,
Cessant de faire outrage à vos vertus parfaites,
Il se ressouviendra qu’avant que d’être Roi,
Il excusoit en lui ce qu’il condamne en moi.
Mon frère qu’un vrai zèle à me servir engage,
Pour gagner son aveu mettra tout en usage,
Et si par politique il s’obstine au refus,
Son exemple est pour moi, je ne balance plus.

BÉRÉNICE

À quel indigne espoir cet exemple vous porte !
Me connoissez-vous, Prince, en parlant de la sorte,
Et songez-vous assez qu’en ses plus doux appas,
Si l’amour m’a surprise, il ne m’aveugle pas ?