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Que le combat cessé je prépare mon coeur
À tout ce que fait craindre un insolent vainqueur,
Quand un ordre secret que l’on sembloit attendre,
Dans un léger esquif me force de descendre,
Où pour en joindre un autre, ayant un peu ramé,
J’y vois le roi de Crète encore tout armé.
Sitôt qu’il m’aperçoit il hausse la visière ;
Je découvre l’éclat d’une mine guerrière,
Et tel que sur un teint et vif et coloré
La chaleur du combat ne l’a point altéré.
Nicandre, me dit-il, pour montrer à ta reine
Que même je la veux respecter dans sa haine,
Si tant de sang versé ne la sauroit finir,
Je lui redonne en toi de quoi la soutenir,
Heureux si poursuivant mon premier avantage
De son trône et du mien je lui puis faire hommage,
Et si, de son courroux désarmant la rigueur,
Ma victoire aux vaincus fait souffrir le vainqueur.
Tandis, pour honorer qui cherche à me détruire,
Vois que moi-même aux tiens j’ai voulu te conduire.
Nous voguons tant qu’enfin n’osant plus avancer,
Avant qu’on nous sépare, il me fait l’embrasser.

LA REINE.

Quoi, d’un faux sentiment l’indigne et basse amorce
Pour éblouir Nicandre a donc assez de force,
Et ce trompeur appas l’a sitôt abattu
Qu’il nous vante pour vraie une ombre de vertu ?
Non, non, quoi que la tienne ait peine à s’en défendre,
Ne crois pas que jamais je m’en laisse surprendre,
Et que d’un ennemi l’audacieux espoir
En séduisant ma haine ébranle mon devoir !
Ce cœur qu’il veut corrompre est trop haut pour souscrire
Au triomphe insolent où son orgueil aspire,
Et dans les sentiments où m’engage un époux,
Ce qu’il fait pour l’éteindre augmente mon courroux.
Car enfin, quelque bien qu’aujourd’hui j’en reçoive,
Je le hais d’autant plus qu’il veut que je lui doive,