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Malgré tout mon amour son ordre impérieux
Sur mon affreux destin vous fait fermer les yeux,
Et cette ombre de gloire a pour vous tant de charmes
Que ma mort vous arrache à peine quelques larmes,
Je n’en murmure point, et pour votre intérêt
Sans rien tenter pour moi j’en accepte l’arrêt.
Contre vous pour le mien faites la même chose,
Et sans vous opposer à ce qu’il faut que j’ose,
Souffrez à mes désirs le pitoyable espoir
D’expirer sans remords sous l’horreur du devoir.

Cassandre

Cruel, et si le mien t’a paru trop sévère,
Devrois-tu te venger de la sœur sur le frère,
Et prendre avidement une fausse couleur
Pour le faire garant de ton propre malheur ?
Car enfin je vois trop quelle offense t’anime,
C’est ma seule vertu qui fait ici son crime,
Tu te le peins coupable afin d’armer ton bras,
Mais si j’avois pu l’être, il ne le seroit pas.

Dom Alvar

Ah, si vous pouviez voir avec quelle contrainte
De mon honneur blessé j’ose écouter la plainte,
Vous n’en trouveriez pas le tourment si léger,
Qu’il vous dût être encore permis de m’outrager.
Non, je ne poursuis point Dom Lope en téméraire,
Je me regarde amant pour le voir votre frère,
Et m’accusant pour lui de sentiments ingrats,
Je lui prête mon cœur pour désarmer mon bras.
Mais, hélas ! c’est en vain que je le justifie
Quand je viens à revoir toute notre infamie,
Contraint à cet objet de me désabuser
Je vois que c’est lui seul que j’entends accuser,
Et qu’en l’obscurité d’un sort si déplorable
Il me doit, ou son sang, ou le nom du coupable.

Dom Lope

Que je le sache ou non, je connois mon devoir,
Et si par moi quelqu’un avoit dû le savoir…
Mais, ô Dieu, c’est ici que l’espoir et la crainte…