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Mais quoi qu’en ce rencontre elle ait pour vous d’appas,
Si vous la différez, vous ne la perdez pas.
Devenons donc amis tant que le sang d’un lâche
De ma gloire obscurcie ait effacé la tache,
Et que par son trépas mon honneur affermi,
Je puisse mériter d’être votre ennemi ;
Car enfin j’ai pour vous une trop pure estime
Pour vouloir abuser d’un cœur si magnanime,
Ma vengeance est la vôtre, et je n’en suis jaloux
Que pour rendre mon sang moins indigne de vous.

Dom Lope

Je ne sais que répondre, et c’est par mon silence
Que vous laissant juger de tout ce que je pense,
Je crois mieux expliquer dans mon sort rigoureux
Ce que peut la vertu sur un cœur généreux.
Mais où cette vertu me va-t-elle réduire ?
Vous savez m’obliger quand je cherche à vous nuire,
Et pressé d’un devoir que je n’ose trahir,
Je vois que vous m’ôtez le droit de vous haïr.
Ce devoir toutefois que presse la Nature
Se trahiroit soi-même à souffrir votre injure,
Il y prend intérêt, et dans votre ennemi
Par un dessein bizarre il vous donne un ami.
Je le suis, j’en fais gloire, et d’un aveugle zèle
En tous lieux, contre tous, je prends votre querelle,
À venger votre affront servez-vous de mon bras,
Un ami tel que moi ne vous manquera pas ;
Mais cet affront vengé, mon cœur quoi qu’avec peine
Dépouille l’amitié pour reprendre la haine,
Et l’intérêt d’un frère est un respect trop fort,
Pour oser voir en vous que l’auteur de sa mort.

Dom Alvar

Au moins dans cet instant, que l’amitié reçue
Tient pour moi dans ce cœur la haine suspendue,
Souffrez qu’impatient de m’acquitter vers vous,
D’un ami si parfoit j’embrasse les genoux.
Rendrois-je un moindre hommage à qui je dois la vie ?
Mais on veut vous parler, ou bien l’on nous épie.