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Dom Alvar

Je connois ce devoir, mais qu’ai-je lieu d’en craindre
Quand je viens le suspendre et non pas le contraindre,
Et qu’à votre courroux j’épargne en ce projet
La honte d’éclater contre un indigne objet ?

Dom Lope

Ce discours est obscur.

Dom Alvar

Pour vous le faire entendre
Oyez par un billet ce que je viens d’apprendre.
Un injuste ennemi par un noir attentat,
Envieux de ma gloire, en a terni l’éclat,
L’outrage par le sang ne s’efface qu’à peine,
On m’en donne l’avis, voila ce qui m’amène.

Dom Lope

Et que pensez-vous faire ?

Dom Alvar

En pouvez-vous douter,
Et dans de tels malheurs a-t-on à consulter ?
Je ne balance point, quelle que soit l’offense,
Tout mon sang indigné m’en demande vengeance,
Mais ce bien le plus grand qu’on puisse concevoir,
Dom Lope, c’est à vous que je le veux devoir.
Quoi que mon ennemi, j’ai peu de peine à croire
Que l’appui de mes jours le sera de ma gloire,
Et le moyen aussi de juger d’un grand cœur
Qu’il fît tout pour ma vie, et rien pour mon honneur ?
J’ose donc vous revoir sans qu’un respect frivole
Me fasse appréhender de manquer de parole,
Puisque loin de braver votre juste courroux
J’en recule l’effet moins pour moi que pour vous.
J’ai promis de vous fuir, mais je veux que ma fuite
D’un si grand ennemi mérite la poursuite,
Et n’auriez-vous pas lieu si je fuyois ainsi,
De dédaigner un sang par un autre noirci ?
On m’a fait un affront, j’ai tué votre frère,
La vengeance à tous deux aujourd’hui nous est chère,