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Dom Lope

Hélas ! et plût au Ciel qu’en déplorant le sien
Je n’eusse pas sujet de l’accuser du mien,
Car enfin dans la loi que la fille m’impose,
La promesse d’un père est pour moi peu de chose,
Et je n’ai plus sans doute à songer qu’à mourir,
Puisque votre amitié n’a pu me secourir.

Alonse

J’avois crû jusqu’ici qu’il étoit impossible
Qu’avec tant de vertu l’amour fut compatible,
Et vous sachant aimé j’appréhendois fort peu
Que Jacinte nous pût refuser son aveu.
Mais s’il faut que ma crainte avec vous s’éclaircisse,
Dom Sanche m’est suspect lui-même d’artifice,
Je l’ai revu tantôt, et connu malgré lui
Que l’accord accepté redouble son ennui.
Lui parlant de vous voir, il n’a pu si bien faire
Qu’un mouvement d’aigreur n’ait trahi sa colère,
Elle a paru couverte et m’a trop fait juger
Que rien n’éteint en lui l’ardeur de se venger.

Dom Lope

Qu’il se venge ; aussi bien, quoi que j’ose entreprendre,
Après ce que je sais je n’ai rien à prétendre,
Pour paroître innocent mon effort seroit vain ;
Si c’est le même sang, qu’importe quelle main ?
C’est ce malheur du sang dont je suis responsable,
Qui me rendra toujours également coupable,
Puisqu’ayant à combattre un destin rigoureux,
C’est être criminel que d’être malheureux.

Alonse

La vertu de la fille à nos desseins contraire,
Semble avoir commencé la vengeance du père,
Et ce trouble confus qu’il m’a fait remarquer,
Me fait craindre pour vous à l’oser expliquer ;
Mais le meilleur remède en ce malheur extrême,
C’est de porter Enrique à s’accuser lui-même,
À demander Dom Sanche, et ne lui point cacher
Ce que je sais déjà qu’il s’ose reprocher.