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Cassandre

Dans le triste revers dont je souffre l’atteinte,
Si ma juste conduite attire votre plainte,
Songez qu’il est bien dur de la voir condamner
À qui ne peut avoir d’excuse à vous donner.

Dom Alvar

Quoi, votre fier devoir jusques-là vous abuse,
Que vous me refusiez la douceur d’une excuse ?

Cassandre

C’est ce que votre amour ne doit point exiger.
Qu’auroit-elle aussi bien qui le put soulager,
Qui put donner relâche au trouble qui l’agite,
Puisque je n’en ai qu’une, et que je vous l’ai dite ?

Dom Alvar

Ah, si cette raison vous la fait supprimer,
Que vous connoissez peu ce que c’est que d’aimer !
Jamais, jamais l’amour n’eut d’excuse frivole,
Il sait charmer cent fois par la même parole,
On a beau la redire et beau la répéter,
De nouvelles douceurs s’y font toujours goûter,
L’appas en est secret et le pouvoir extrême,
Et si pour qui la dit elle est toujours la même,
Bien qu’elle semble l’être, il est certain pourtant
Qu’elle n’est pas la même à celui qui l’entend.
Dites-la donc encore cette excuse charmante,
Qui soulage mes maux quand elle les augmente,
Et mêlant vos regrets à mes vives douleurs,
Presse mon désespoir de finir mes malheurs.

Cassandre

Et vous pourriez souffrir qu’aux dépens de ma gloire
J’écoutasse une amour que je ne dois plus croire ?
Quand d’abord votre vue a troublé mes esprits,
L’âme toute en désordre et les sens interdits,
J’ai pu m’abandonner dans ma surprise extrême
À ce que pense un cœur quand il perd ce qu’il aime,
Et que prêt de subir un redoutable sort
Il regrette vivant ce qu’il a pleuré mort.