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Scène IV


Cassandre

À Madrid, où j’étois alors chez une tante,
Je menois une vie et paisible et contente,
Et mes frères en Flandre, en de nobles emplois,
Laissoient à mes désirs la liberté du choix,
Alors qu’un Cavalier dans un péril extrême
Osa m’en dégager en s’y jetant lui-même,
Et par ce grand service engagea ma raison
À souffrir de mon cœur l’aimable trahison,
Il me vit, je le vis, et trop reconnoissante,
Pensant n’être rien plus, je me sentis amante.
Je ne vous dirai point par quels soins, par quels vœux
Il disposa mon âme à répondre à ses feux,
Ni quel rapport d’humeurs l’une à l’autre assorties,
Forma de nos esprits les douces sympathies,
Ce seroit retracer dedans mon souvenir
Des traits mal effacez qu’il tâche de bannir,
Vous saurez seulement que quoi que je supprime,
Rien de honteux pour moi ne m’acquit son estime,
Et que l’ayant connu généreux et discret,
Je ne pus refuser de le voir en secret.
Mais quoi qu’il me jurât entière obéissance,
Il sut avec tant d’art me cacher sa naissance,
Que m’opposant toujours quelque obligeant refus,
M’ayant appris son nom, je ne sus rien de plus,
Si ce n’est que pour vaincre un destin trop contraire,
Un voyage d’un an se trouvoit nécessaire,
Et qu’alors plus heureux et plus digne de moi,
Il se feroit connoître aussi bien que sa foi.
Que vous dirai-je enfin ? Sans savoir davantage
Il fallut consentir à ce triste voyage,