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Que la mienne jamais ne peut m’avoir trahie,
Que de fausses clartés ne m’ont point éblouie,
Et qu’enfin j’ai dû voir dedans un cœur constant
Tout ce qu’un vrai mérite a de plus éclatant.
Voila sur quels appuis mon amour osa naître,
Et si vous n’étiez pas ce que je vous crois être,
Si de bas sentiments vous tenoient partagé
Je me voudrois punir d’en avoir mal jugé.

Dom Lope

Pour bien juger de moi, jugez-en par vous même,
Ou pour dire encore plus, par ce cœur qui vous aime,
Puisqu’on ne vit jamais les belles passions
Sur des courages bas former d’impressions.
Mais si votre vertu jugeant mon innocence,
Contre la calomnie entreprend ma défense,
Daignez ne pas laisser votre ouvrage imparfoit,
Et de l’erreur d’un père accordez-moi l’effet.
Voyez de votre hymen ce qu’on lui fait prétendre ;
Pour effacer sa honte il vous demande un gendre,
Et puisque son honneur vous doit seul engager,
Faites tomber sur moi le droit de le venger.
Prenez l’occasion que le Ciel vous présente
De remplir les devoirs et de fille et d’amante,
Et ne me perdez pas quand il vous donne jour
À satisfaire ensemble et l’honneur et l’amour.

Jacinte

Dom Lope, qu’est-ceci ? vous oubliez sans doute
Que c’est vous qui parlez, et moi qui vous écoute ?
Ou voulant que j’embrasse un projet si honteux,
La gloire vous déplaît pour objet de nos feux ?
Ainsi donc ma vertu doublement infidèle,
Répondra lâchement à ce qu’on attend d’elle,
Et je pourrai souffrir qu’on me reproche un jour
Que l’honneur me servit de prétexte à l’amour,
Qu’abusant de l’erreur qui pût surprendre un père,
Je ne le satisfis que pour me satisfaire,
Et que ma passion couvrit sa lâcheté
D’un vain et faux éclat de générosité !