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L’étrange soirée que j’ai passée hier au Chat Noir avec deux de mes camarades de l’École du Louvre ! (Il paraît que j’ai fait une inconvenance au point de vue français ; une jeune fille ne met pas les pieds au Chat Noir. Si elle est mariée depuis quinze jours, c’est parfait. Enfin, je n’ai qu’à ne pas le raconter.) On se demande où l’on est exactement dans ce petit hôtel sombre et d’un moyen âge truculent, raccrochant les passants avec l’enseigne de son flamboyant matou, les bibelots incohérents dont il est bourré, sa camelote en plâtre peint voisinant avec de sincères œuvres d’art, telles que le grand vitrail représentant le Veau d’or signé Adolphe Willette, ses crucifix anciens et ses garçons de café habillés en académiciens. Le maître du logis, Rodolphe Salis, qui interpelle et tutoie tous ses clients, m’a l’air d’un fumiste enragé de réclame ; mais, en même temps, un fumiste très fin, et qui aime l’art pour l’art. Le programme qui se déroule devant nos yeux, tandis que nous nous abreuvons d’une bière exécrable, est non moins incohérent que le décor ambiant. Des chansonnettes