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clarté orange de la lampe… Mme Rousset coud une étoffe aux bariolages plus ou moins exotiques. Roussel, en manches de chemise, mais le chapeau sur la tête (en revanche, on le voit souvent tête nue dans la rue), énonce avec un doux sourire de vagues théories anarchistes. Son frère, silencieux, fourrage dans des Baedeker et des « Tour-du-Monde ». La petite Charlotte, penchée sur la table, trace de mystérieux graphiques, qui doivent renfermer un monde de pensées nébuleuses, sur des faire-part de deuil ou de mariage. Par terre, Lucien, semblable à une grosse brioche, avec son corps tassé en boule et sa tête ronde, vagit des mélopées imprécises, ou de longs monologues, simulant le langage humain qu’il ne connaît pas encore à son vif chagrin. Souvent, je le prends sur mes genoux et dodeline ce petit tas de chair rebondie jusqu’à ce qu’il fasse « l’arc » et s’insurge pour retourner à la bienheureuse poussière du parquet. Léa mouche les enfants, fait le thé, aide Mme Rousset à ses travaux de couture, et, de temps en temps, pose pour un dessin. C’est un modèle qui fait partie de la famille ; l’été dernier, les Rousset l’ont emmenée avec eux à Marlotte.

La seule ombre au tableau, c’est le chien. Cette grande bête, affectueuse et sale, vient tout le temps,